L'image numérique est l'expression d'une multitude de points fictifs, les pixels. Sur un écran, le pixel se présente en un carré de couleur lumineuse. Chaque couleur peut être décomposée en trois primaires : rouge, vert, bleu. La synthèse des trois donne sa teinte finale. Chacune est repérée, codée par une échelle de 0 à 255. Il y a 256 niveaux. 256 tons de rouge, de vert, de bleu, soit 2563 possibilités, 16,7 millions de couleurs. Chaque pixel peut prendre une de ses 16,7 millions de valeurs. Une image numérique est un ensemble de chiffre qui transcrits s'affichent en couleur. La sortie de l'encodage produit une image, qui suit le processus qui consiste à colorer une surface divisée en cases. Dans chacune figure un chiffre qui correspond à un ton donné. Le pixel est cette case. Il est le lieu où le chiffre devient image. Un lieu où le calcul et l'image s'entrecroisent. Il figure un nombre. Il est une couleur. Il est un entre deux. Un point de jonction. Une apparence de points. Le pixel est donc une interface (mathématique) colorée. Le pixel est (un) signe plutôt qu'une matérialité. Le numérique est un système de valeur. Il est la manifestation d'un code. Un code visuel qui remplace un code informatique. Il est toujours réductible (en fin de compte) à un vide ou un plein. Un tout ou un rien. Une présence ou une absence. Un 1 ou un 0. Il s'agit toujours et uniquement de chiffres binaires. C'est le bit. L'unité première. Il est une réalité mathématique. Il est une donnée. Une information. L'image numérique n'est pas un médium. Elle est une absence de médium. Le numérique est une absence (de matière). Au delà de l'image cette définition s'applique à tout le numérique. Tout ce qui est numérique. Tout peut s'encoder. Les images. Les sons. Les vidéos. Les textes. Toute manifestation numérique est la présence simulée d'une matière absente. De cette absence, naît l'idée de manque, l'envie, peut-être le besoin pour OutCast de remettre en objet. De faire que ce qui est devant nous possède une existence en soi.
Une perle pour un pixel. A chaque case coloré OutCast attribue une perle de couleur. Cette fois-ci la gamme est restreinte. 43 couleurs. Il ne s'agit pas d'effectuer une opération similaire au numérique. Codage. Décodage. Traduire à la différence de transcoder n'est pas automatique. Un code ne remplace pas, ne se substitue pas à un autre. Mécaniquement. Il ne s'agit pas de concordance entre deux ensembles de signes. Mais traduire. C'est remettre en cause l'équivalence, la stricte équivalence entre les signes, la convention des signes. L'idée qu'un signe se substitue parfaitement à un autre. L'un pour l'autre. Et inversement. Traduire c'est convoquer. Faire d'une chose qui n'a pas vocation de rester en l'état (une) autre chose pas pareille mais proche. En faire autre chose pas tout à fait identique mais pas totalement différent. Dans l'acte de traduire il y a quelque chose de l'essence même qui perdure. Qui se maintient. Au profit de la forme qui évolue, change, se modifie. La traduction c'est le moment du passage de cet état premier à la résultante. Comme un portrait s'apparente à son modèle. Comme un modèle ressemble à son portrait. Il y a un lien entre la chose première et sa résultante qui demeure. Il y a donc une transformation plutôt qu'une perte. La traduction n'existe qu'en référence à son (un) original. Mais (celui-ci) absent. La traduction engendre une idée d'avant. De premier. Il y a l'idée qu'il y a quelque part ou qu'il y a eu un moment quelque chose qui précède. Chaque tableau de la série souvenir de toi est le produit d'une image numérique. Au départ il y a une photo. La photo avant le numérique semble directement prélevée à partir du monde. En criminologie elle devient preuve. La photo est vraie. Elle est l'image du réel. La photographie est la rencontre d'un objet, d'un lieu, d'un moment. La photo représente. Lorsque l'on aperçoit une photo, on ne peut s'empêcher de dire, c'est ça. Parce que la photo figure son sujet, elle lui est et elle lui reste subordonnée, (c'est donc ça). La photo, c'est ce qui est sur la photo, ce qui a été pris, capté par l'objectif, maintenant révélé, ce n'est rien d'autre que ce qui a été, que la réalité, un bout de la réalité. C'est presque une définition de la photo, quelque chose entre réalité et représentation : reproduire un état de chose ou ce qui a été, du moins un instant, dans un lieu, suivant un cadre, une prise de vue. Saisir un fragment du monde, acte de découpe pur et dur, et le poser dans un état désormais définitif. La photo c'est bien la réalité, tout le monde vous le dira - c'est ça - C'est une fille avec un masque de lapin, une autre devant des ballons, … Il suffit de regarder et de décrire. Identification. Description. C'est simple la photo. La photo ne se détache pas du réel. Elle le représente. La photo ne se dégage pas de la représentation. C'est ça ; c'est ce qu'il y a là, ce qui est donné à voir. On pourrait dire que c'est ce qu'il y a à voir. C'est tout.
Avec l'apparition de la photo numérique, rien, plus rien ne peut garantir la véracité de la photo. On peut la retoucher. La modifier sans que celui qui regarde puisse identifier toutes ces variations. Il n'y a pas pour lui de différences entre l'authentique, ce qui était au départ et ce qui ne l'était pas. Du moins pas comme ça. Mais aujourd'hui qu'est ce que cette chose ? Qu'elle valeur a-t-elle ? Il n'y a donc plus de vérité. Plus d'absolue vérité. Si tout ce qui était preuve ne l'ai en aucun cas plus. Qu'est ce qui est vrai ? Il y a toujours un doute. Il est là. Dans le même mouvement d'identification il y a un aller et un retour d'incertitude. Dans cette action (ce geste) on entrevoit un soupçon devant ce qui est, là, devant nous. Regarder une image c'est (se) questionner. Forcément. C'est identifier et douter. La reconnaissance de ce qui est devant nos yeux (nous) est vécue alors comme une proposition. Non pas par un changement de point de vue, ou d'objectif mais de construction, d'essence. Elle pourrait être autre. Discerner autre chose. Discerner une autre vérité. La représentation de ce qui est devient une proposition, une simple proposition puisque à priori, elle peut être différente. Il se peut, ce n'est pas certain, mais c'est possible, en tout cas plausible, qu'elle soit non vraie. Il y a donc l'apparition d'une ombre. Toute image numérique admet son corollaire, qui est la suspicion même de cette proposition. Une représentation numérique est donc double, elle et sa mise en doute. Elle est les autres. Possibles.
Un tableau. Une personne. Un nom. Son nom. Une date. Pas celle de la prise de vue. Celle de la traduction. C'est ce moment qui représente la mise en portrait. Dans souvenir de toi, il ne s'agit plus de donner à voir d'une image numérique qui apparaît insatisfaisante. En posant la traduction de cette dernière en (un) portrait (en) plastique comme l'acte de peindre OutCast se décale. Peindre ce n'est plus représenter mais exposer. Un portrait admet, implique derrière de la dualité identification et description, une matérialité. On est ici dans la peinture avec une question de fond. Avec cette interrogation. Comment montrer une image ? La tentative passe paradoxalement par l'opération de sa remise en objet. Une proposition. Celle-ci parmi les autres. Celle d'OutCast. La proposition que nous fait OutCast, est mise à mal par la solution adoptée. Un portrait. Des perles plastiques. Des points. Les uns à cotés des autres. Une légère vibration. Un recul de la lisibilité. Il y a une difficulté à voir cette image qui ne s'offre pas, pas instantanément. Ce mal voir nous oblige à faire nous-même (la mise) le point. S'avancer. Se reculer. Souvenir de toi est un détour, le subterfuge qu'a trouvé OutCast pour pouvoir nous monter des images. Avec cette série, aujourd'hui simplement, OutCast interroge ce qu'est une image. Une photo. Un portrait. Peut-être une image n'est pas que simple et immédiate. Donnée. Révélée. Cette image de l'autre, troublé, mal lisible. Dès le titre de la série, Souvenir de toi, il y a toi. Et donc moi. Hors-cadre. Il y a le lien. La présence de l'autre réaffirmée par l'affectation de son prénom au portrait. Il y a une histoire entre la personne (qui nous est) montré et celle qui a pris la photographie initiale. OutCast parle du rituel lié à la rencontre. Du moment. Puisque l'objet et le lieu peuvent être modifiés, manipulés. Subsiste le moment. Seulement le moment. Celui qui prends la photo sait. Il possède la connaissance de ce moment, de ce qui s'est passé, de cette vérité. Prendre en photo. Prendre en image. Fixer. Remettre en objet. Un souvenir de toi ? Se souvenir de toi ? Le portrait devient également la trace d'une rencontre, d'un lien, de ce lien. (Bachir Alexander)