Chapitres
Remplir le vide. Oct 05 —

Tout le monde peut appuyer sur un bouton à un moment donné. Tout le monde peut faire une photo. Cela n’a rien avoir avec de l’art ou tout autre mot définissant un processus de création. Simplement tous nous vivons dans l’image. Le 20ème siècle a vu s’édifier cet état avec le développement des techniques de reproduction de l’image et des moyens de diffusion. Ce bouleversement, cette inflation d’une image devenue proche, facile à réaliser, prête à consommer, a entraîné la fin de la prédominance de l’écrit au profit du visuel. OutCast ne fait pas de photos. Outcast fait des images. Les photos sont une étape du travail. C’est pour cela qu’OutCast utilise la photo numérique. C’est simple. C’est là. C’est immédiat. On a tout de suite l’image. Elle est là. Elle se matérialise aussitôt. C’est aussi faire (acte de) collection. Appuyer sur le déclencheur systématiquement, selon un critère commun.

Prendre des photos. Déjà le mot indique qu’une fois l’action réalisée on est entré en possession. On a pour nous ce qui était là. S’approprier, faire siens une histoire, des moments et des réalités. On fait des photos pour s’en souvenir plus tard, pour se rappeler ce moment, s’ancrer, et revivre ce qui a été. Même si ce n’était pas la réalité mais une interprétation et une représentation de ce qui s’est passé devant nous. La photo est la capture de la lumière a un instant donné. Et pourtant, pour tous, la photo est ce qui est devant mes yeux. Ce qui est descriptible. C’est ce qui sert de base à la remémoration. C’est l’incongruité d’une situation ou l’on se sert d’un souvenir, (un ressenti d’une situation passée), en le réactivant encore et encore. On se retrouve à le dévitaliser. On lui ôte tout ce qu’il était pour le réduire en une idée obsédante qui réutilisation après réutilisation s’éloigne et devient une trace. C’est la nostalgie. C’est la perception d’une perte. Une perte qui se ressent, qui se vit comme un vide. Il devient nécessaire de remplir ce vide, pour évacuer cette sensation négative.

L’attente est une absence. Non pas de quelqu’un ou d’un événement, mais la certitude d’un manque, d’un élément plus ou moins identifié et connu qui dès lors qu’il arrivera modifiera la situation actuelle. C’est la promesse d’un déplacement, d’un ailleurs. C’est à ce moment là, (et seulement là), que l’attente rompue transportera la personne qui attend dans un autre part, dans une autre situation, dans un mieux être. L’attente est la promesse de transition. On changera alors de monde. Ce moment n’est pas un mouvement, une transformation, un devenir. Ce n’est pas un processus. Non. C’est une rupture. (Le monde clos n’est plus.) En attendant il faut passer le temps. Car c’est lui (et lui seul) qui nous sépare encore du mieux être.

L’attente comme la nostalgie est un état. Pendant qu’on attend on ne fait pas. On ne change pas. On n’émet pas d’inflexion, de bouleversement de la situation dans laquelle on est. C’est une condition qui s’auto alimente. Des fois. Quelque fois dans l’attente d’un objet identifié, quand il est là ça ne change rien Non. Alors on est (on se retrouve (encore)) dans l’attente (de quelque chose). Faire. Faire quelque chose, s’occuper, faire un objet. Mais en même temps se condamner à refaire, à rester dans ce moment de faire. Jours après jours faire, réactiver l’objet. Faire induit une production. Il y a donc au final un objet. De l’image retrouver une trace. Une trace non plus de l’image mais du temps. Remplir le temps. Remplir le vide. En attendant. C’est de cette boucle que naît le sentiment de vide. Remplir du vide. Remplir du temps. En attendant. Faire.

Faire est une activité. On est dans l’action et non dans l’avoir ou l’être. Faire mais pas devenir, changer par et dans (pendant) ce faire. Faire. C’est tout. Commencer. Faire. Arrêter. Avant il y avait autre chose. Un autre Faire. Un différent. Maintenant c’est ça. On est là. On en est là. Faire ce que l’on fait. (Attention bien le faire) Etre ce que l’on fait mais juste à ce moment là, juste à cet instant là. Et puis un moment après c’est terminé. On pose ce travail et puis on fait autre chose. Une autre activité. Rien n’ a changé. Rien n’ a été modifié. Le temps est passé. L’objet a (juste) avancé. La fuite de la réalité pour ne pas être en prise avec ce sentiment nostalgique. Une fois l’objet achevé, c’est là. Toujours. Il subsiste un décalage entre ce qui devrait être et ce qui n’est pas. C’est pour ça que l’on fuit parce que c’est pas ça. C’est pour oublier que c’est pas ça. Pas encore. Essayer de sortir de la boucle, ou au moins ne plus être confronté à elle un instant, faire en attendant que ça passe. Remplir le vide.

L’image devient un objet qui est présent pour matérialiser le temps. Objet après objet, les placer,les exposer, peu à peu l’espace devient le terrain du temps qui passe. Les objets, les images prennent de la place, encombrent, maintenant, s’agrandissent et s’étirent à l’infini. Il reste l’habitude de se concentrer sur quelque chose. Une petite chose. Une bataille que l’on peut gagner.